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La solitude du père- L'écharpe rouge -Yves Bonnefoy

Publié le par si-peu-de-nous.over-blog.com

« murs passés à la chaux. Et j’avais bu

Avidement, à cette coupe de la blancheur,

Moi qui venais du papier à fleurs des chambres pauvres. » Yves Bonnefoy

« Questo cor mi fu morto

Poi che’n Tolosa fui. » Guido Cavalcanti

Florence surtout, Rome même Venise, je les aies vécues comme on écrit des poèmes, leurré par une idée de la vie, oublieux de sa rude et salubre complexité, ou simplicité ; et j’avais donc à m’en délivrer à la façon dont la poésie, qui est plus que nous, a tâche d’en finir avec nos fantasmes qui ne sont que des errements. Le rêve de l’enfant qui imaginait une réalité d’essence supérieure à la sienne au moyen du parler inconnu de ses parents, l’occitan, dont je faisais par mirage la langue du vrai pays. . Car il y avait en moi quelqu’un pour rêver, ah, coupablement, qu’existe un autre niveau de réalité que celui où on pense et œuvre ordinairement.

Mais sous l’abattant, là où mon aïeul rangeait les livres qu’il écrivait, mais seulement pour lui-même, reliant de simple carton ou d’une apparence de cuir la mise au net qu’il en avait faite, rien ne se trouve aujourd’hui de ses travaux, je garde ailleurs ceux d’entre eux que j’ai reçus en partage. Et j’ai mis à leur place le dossier de « L’écharpe rouge ». Du sans cesse interrompu, de l’inachevable semble-t-il.

Peut-être la liberté qu’assure la prose de s’arrêter à des pensées que le vers néglige en son avancée précipitée, impérieuse me donnerait-elle d’apercevoir des détails dont je ferais la clé de découvertes… ces tentatives désordonnées souvent je les ai détruites et tout ce qu’elles m’apprirent, c’et qu’à la version première, celle qui s’était comme imposée , d’une seule traite, je ne pouvais rien ajouter. Ce poème, un texte qui existait comme tel, jusqu’en sa moindre virgule,…je n’avais pas plus le droit d’y toucher que s’il était l’œuvre de quelqu’un d’autre….portes fermées devant moi, portes d’un monde aussi mystérieux que le rêve…au moment même où je cherchais à percer à jour ces énigmes, j’avais désir de ne pas le faire...

Je suis « cet homme déjà vieux » qui veut mettre de l’ordre dans son passé. L’écharpe rouge que, lui et moi, voyons chacun s’éployer sur le cœur de l’autre, c’est ce qui nous unit, d’une façon à la fois invisible et essentielle, c’est la paternité et la filiation, ce que l’on appelle le lien du sang.

Le plus troublant de mes souvenirs, c’est mon souci quand j’avais dix ans, douze ans, du silence de mon père.

Un silence qui n’était pas de l’hostilité pour son entourage…le signe d’un renoncement à communiquer. Moins un vrai mutisme que peu de mots. Et moi qui y étais attentif, et probablement le seul à l’être, je pouvais et pouvais penser, que mon père était de nature taciturne, et peu porté à passer de son travail quotidien- qui déshabituait de parler dans le bruit, même le vacarme de l’atelier- à des façons d’être plus détendues, à l’occasion plus joueuses,.. nullement habituelles dans les lieux et milieux de son origine…je savais qu’il venait de ces terres pauvres du Causse où la monotonie des buissons et des pierres redoublait celle des tâches quotidiennes : ce qui ressemble au silence et y incite et même le fait aimer. Il passait au jardin ses fins de journées d’été, ses dimanches matin. Et quand l’heure venait de la promenade dominicale, pour laquelle il avait une chemise blanche à col dur, des guêtres sur les chaussures, des gants clairs, un chapeau mou, comme on disait alors et même une canne, tout un déguisement de petit bourgeois, il allait obligeamment près de nous, bien que le plus souvent un ou deux pas devant ou après ces autres.

De la solitude dans son silence.

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