Les mots vides

Il faut bien la torpeur bruissante de l'été et le vert des prairies et la douceur des couleurs des fleurs et un papillon qui batifole innocemment et le chant glorieux du coq du voisin pour lire Faulkner.

Se sentir seul avec la famille Brunden qui chemine vers Jefferson avec la mort et la folie sur sa charrette. Avec qui partager cette force obstinée, osée,déviante, noire et feu, de l'écriture et des récits de Faulkner...pas avec ceux-celles qui sont trop âgé(e)s ou qui ont de la peine ou qui souffrent ou qui sont humiliés ou qui s'oublient à rouler avec les jours. Alors peut-être avec vous...

Addie la Mère: " Il me semblait qu'il s'était joué de moi, que, caché derrière un mot comme derrière un écran de papier, il m'avait à travers, frappée dans le dos.Mais ensuite j'ai compris que j'avais été trompée par des mots plus vieux que Anse ou amour, et que le même mot avait trompé Anse aussi. J'ai exigé d'Anse la promesse de me ramener à Jefferson après ma mort. ..

Je pensais combien les mots s'élèvent , tout droits, en une ligne mince, rapides et anodins, alors que les actions rampent, terribles, sur la terre, s'y cramponnent, si bien qu'au bout d'un certain temps, les deux lignes sont trop éloignées l'une de l'autre pour qu'une même personne puisse les enfourcher. Je pensais que péché, amour, peur, tout cela n'était que des sons que les gens qui n'ont jamais péché, ni aimé, ni craint, emploient pour ce qu'ils n'ont jamais eu et ne pourront jamais avoir à moins qu'ils n'oublient les mots.

J'entendais l'obscurité sans voix où les mots sont les actions et ou les autres mots, ceux qui ne sont pas des actions, ceux qui ne sont que les vides dans ce qui manque aux gens, descendent comme les cris des oies... Je pensais au péché comme à un vêtement qu'il nous faudrait enlever afin de modeler, d'adapter le sang terrible à l'écho des mots sans vie, perdus là-haut dans les airs. Puis je me couchais de nouveau avec Anse. Je ne cachais rien. Je n'essayais de tromper personne; ça m'aurait été égal."

Tandis que j'agonise- As I lay dying