Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Absalon, Absalon...Deep South

Publié le par si-peu-de-nous.over-blog.com

 


 

  Sur la guerre de sécession ..l'évocation est... hallucinante...  mais la guerre dans l'âme des personnages est bien plus dévastatrice et survit au grand massacre...

...vous êtes condamnés à lire Faulkner..le reste n'est que turpitude où se complait l'âme qui n'a rien vu. 

Qui peut encore écrire le tréfond après Faulkner? Lorsque  la guerre  devient le baume espéré à des souffrances individuelles ravageuses? Comment a-t-il su trouver des mots pour dire l'inextricable toile d'araignée  et l'araignée elle-même dans l'existence de ses proches?

Je ne vous conseillerai de lire Absalon, Absalon que si vous avez un grand verre d'antidote à côté de vous et que vous avez encore la force de tendre le bras et de trinquer aux miracles de la vie.


 

 

  "Qui peut savoir ce qu'elle vit cet après-midi où ils arrivèrent à cheval dans l'avenue, quelle prière, quel rêve méditatif de jeune-fille surgi tout à coup sur son  destrier de quelque pays fabuleux, non pas dans une dure armure de fer,mais apparu comme ce tragique Lancelot vêtu de soie....

On s'aperçoit que l'on n'a envie de rien sinon de ce sorbet..que ce sorbet est là pour qu'on le prenne.Non pas simplement pour que n'importe qui le prenne mais pour que vous le preniez, vous, sachant rien qu'en regardant cette coupe qu'elle serait comme une fleur qui aurait des épines pour toute main qui tenterait de la saisir excepté la vôtre.

Car on ne peut pas avoir raison d'elles; on ne peut que fuir ( et grâce à Dieu, on peut fuir, on peut échapper à ce magma de solidarité épais de cinq pieds et grouillant comme un fromage véreux, qui recouvre la terre  et dans lequel hommes et femmes en couples sont rangés et serrés comme des quilles; grâces soient rendues aux dieux quels qu'ils soient pour cette cheville masculine lisse et effilée et apte à se mouvoir, alerte et adéquate, là où ce magasin à cartouches qu'est un bassin de femmes la maintient solidement..

 

Et qui peut dire si ce n'était pas, peut-être, la possibilité de l'inceste, car qui ( s'il n'a pas une soeur: je ne sais rien des autres) a jamais été amoureux sans découvrir ce que le contact charnel a de vain et fugitif; qui n'a pas dû se rendre compte, que, quand le bref tout est accompli, il faut battre en retraite, et laisser à la fois amour et plaisir, ramasser ses propres saletés et détritus- les chapeaux, les pantalons, les chaussures qu'on traine à travers le monde- et battre en retraite puisque les dieux pardonnent et pratiquent ces choses là et l'accouplement mystérieux et infini flottant indifférent au-dessus de l'instant qui entrave et tourmente, car le n'était pas, est, était n'est la gratification que des  éléphants et des baleines énormes et futiles; mais peut-être que s'il y avait aussi péché, il ne nous serait pas permis de nous évader, nous désaccoupler et nous en retourner.

 

Alors, il va peut-être l'écrire. Il n'aurait qu'à écrire "Je suis ton père. Brûle ceci et je le ferais. Ou sinon une feuille , un bout de papier avec ce seul mot "Charles" écrit de sa main."

 

" -Le Sud. Le Sud. Bon dieu. Pas étonnant que vous tous là-bas vous vous surviviez à vous-mêmes pendant des années et des années...

-Je suis plus vieux à vingt ans que bien des gens qui sont morts, dit Quentin.

-Pourquoi est-ce que tu hais le Sud?

- Je ne le hais pas, dit-il. Je ne le hais pas pensa-t-il. Non. Non! Je ne le hais pas! Je ne le hais pas!


 

Faulkner

 

Frédéric Boyer,  : «une vieille demoiselle, Rosa Coldfield, impose à un jeune étudiant, Quentin Compson, le récit plein de ressentiment et d’effroi de l’apparition d’un nommé Sutpen, affublé du sombre sobriquet le démon, en 1833, escorté d’une horde d’esclaves fidèles et violents, dans une petite ville du Sud. Il y fonde un domaine, se marie et a deux enfants, Henry et Judith. La guerre éclate dans les années 60 en même temps que le drame familial et incestueux. Henry a rencontré à l’Université le premier fils bâtard de son père : Charles Bon, un métis qui décide de se fiancer avec sa propre demi-sœur, Judith. Très vite les conteurs se passent le relais du récit, de génération en génération. Quentin est le petit-fils du général Compson, ami de Sutpen. Il donne la version des faits qu’il a pu entendre ou recueillir, ou imaginer et reconstruire à partir de ce qu’il sait de son grand-père. Pour mener ce travail d’investigation et d’imagination, il lui faut un partenaire de récit. C’est son compagnon de chambrée à l’Université, Shreve Mac Cannon, qui ne connaît rien de cette vieille histoire sudiste. Mais lui aussi peut aider»,

 

 

et Stalker blog : "Thomas Sutpen, l’initiateur, le démon qui est à l’origine de la lignée maudite, le foyer intense du Mal. Car, s’il est certain que Faulkner nous conte, parallèlement à, ou plutôt chevillée au déroulement de l’histoire de la famille Sutpen, la tragédie de la guerre de Sécession, il est faux de penser que la grande Histoire gommerait les menus faits de la petite. C’est même tout le contraire qui se produit, puisque, en choisissant Thomas Sutpen le mystérieux, le sombre, le brave, le mauvais, le père d’une lignée de maudits, Faulkner opère une véritable incarnation de l’Histoire, et donne un visage au Mal qui n’en a jamais : Thomas Sutpen, justement. Celui-ci est le scandale, la pierre d’achoppement, l’incompréhensible pantin livré un temps à la puissance du Néant. Ainsi, aux yeux de cette vieille fille qu’est Miss Rosa Coldfield, prendre la parole et raconter ce qu’elle doit raconter à Quentin, ... Écoutons la voix scandalisée de la vieille femme dire qu’une « certaine parcelle de boue en putréfaction est entrée dans ma vie, a prononcé ce que je n’avais encore jamais entendu dire et n’entendrai plus jamais, puis elle en est sortie; ce fut tout ». C’est tout, oui, et cette faute initiale pourtant va germer et se reproduire, selon des lois qu’il ne nous est pas donné de connaître : est-ce que le coin de cette Amérique profonde dont nous parle le romancier a été décidément et définitivement oublié de Dieu ? Est-ce que Sutpen, selon l’avis de Miss Coldfield, est véritablement un démon incarné ? Est-ce que toute la tragédie obéit à un ordre initiateur de rédemption à venir, abominable et scandaleux parce qu’il exige, pour accomplir celle-ci, qu’il y ait souffrance et incompréhension outrée au préalable ? Est-ce encore, plus obscurément, admettre que doit se déchaîner le Mal, que doit être fécondée la semence de dragon de Thomas Sutpen pour que la parole, en tuant ce germe – non pas de manière irréfléchie et abrupte, en portant un jugement sur et en le condamnant, mais simplement en se réalisant, en proférant sa vérité –, offre aux narrateurs de la sordide histoire une chance de salut ?
Car ce salut, impérativement il faut le trouver, hic et nunc, ...C’est la parole et, plus que celle-ci, c'est sa transmission effective, de bouche à oreille, de bouche en bouche, de chair en chair outragée et d'esprit en esprit interloqué, désireux de comprendre.
C’est bien la voix seule qui redonne vie aux antiques fantômes d’une tragédie qui, si elle n’est point banale, n’a rien de très exceptionnel, au moins dans l’univers de Faulkner, éclaboussé par de terribles éclairs qui nous suggèrent, par l'imprévisible éclat de leur puissance, la trouée noire, profonde et inexplorée jusqu’alors de morbides déchirures — ouvertes sur quoi ? L'écriture en tout cas n'est pas là pour nous le dire ou nous le révéler. L'orage du Mal, comme le dit Bataille, doit rester dans l'imprécision nécessaire de l'éphémère révélation. Mais la parole, quoi qu'il en soit, est bien (ou bien se doit de l'être à tout prix) l’une de ces ouvertures, comme une déchirure superbe de précision qui cisèle et cisaille les pans obscurs du Mal jadis commis, un jour perpétré, depuis embastillé dans son cachot de mutisme. Déchirure qui ouvre les replis sonores et tout bruissant de paroles passées .... Parole qui jamais ne se contente de constater qu’il y a eu, là, faute et scandale intolérable, mais qui toujours tente d’expliquer, de comprendre si elle ne peut pardonner.
La parole blessée, fragile, inquiète, mortelle comme les hommes et les femmes, soumise irrémédiablement à la plus petite saute d’humeur des dieux cruels, et pourtant elle seule permanente, elle seule immortelle, elle seule initiatrice, survivant à la chair des hommes et des femmes qui la maniaient avec délice ou évitaient par ignorance crasse de trop s'en servir, créatrice de l’humanité et de cette folie qui nous pousse invinciblement à aller à la rencontre de l’Autre, à sauver Caïn et, si ce n’est à le sauver — car nous ne sommes pas son juge —, à tenter de le comprendre. Ainsi, les demi-frères que sont Charles Bon et Henry Sutpen peut-être ne se sont-ils déchirés que parce qu’ils n’ont su ou pu échanger une seule parole qui n'ait point été d’égoïsme et de colère.

Commenter cet article
.
« Mesdames et messieurs,<br /> <br /> J’ai le sentiment que cette récompense n’a pas été attribuée à l’homme que je suis, mais à son travail. Le travail d’une vie, dans l’agonie et dans les suées de l’esprit humain, non pour la gloire<br /> et encore moins pour le profit, mais pour la matérialisation, fruit de l’esprit humain, de ce quelque chose qui auparavant n’existait pas. En fait, cette récompense, je l’emprunte seulement.<br /> <br /> Il ne sera pas difficile de consacrer l'argent de ce prix dans un but lié à la raison et à la signification de son origine. Je souhaiterais, également, faire de même pour les éloges, en me servant<br /> de cet instant comme d’un sommet, à partir duquel je pourrai être entendu par les jeunes hommes et jeunes femmes déjà dévoués à la même angoisse et à la même tâche ; parmi eux se trouve aussi celui<br /> qui se tiendra un jour ici, à ma place.<br /> <br /> Aujourd’hui, la tragédie de notre époque n'est qu'une peur physique, générale et universelle, si longtemps subie, qu’il nous devient même possible de la supporter. On ne traite plus des problèmes<br /> de l’esprit. Il n’y a plus qu’une seule question : Quand vais-je disparaitre ? A cause de cela, le jeune homme ou la jeune femme, se consacrant à l’écriture, a oublié toutes les difficultés du cœur<br /> humain, toujours en conflit avec lui-même. cela seul produit la bonne écriture, cela seul en vaut la peine, la peine de l’agonie et des suées.<br /> <br /> Il doit s’instruire de ces difficultés, réapprendre que la base de toute chose est d’avoir peur ; comprendre cela et l'oublier pour toujours, en laissant uniquement, dans son œuvre, de la place<br /> pour les vérités du cœur et ses savoirs anciens. Ces vérités universelles dont l’absence condamne une histoire à n’être qu’éphémère – l’amour, l’honneur, la pitié, la fierté et la compassion et le<br /> sacrifice. Jusqu’à ce qu’il y parvienne, il peinera sous le joug de la malédiction. Il écrit la luxure et non l’amour, les défaites où personne ne perd grand chose, les victoires sans espoir et,<br /> pire que tout, sans la pitié ni la compassion : son chagrin, alors, ne pleure pas sur l'universelle dépouille et ne laisse aucune cicatrice. Il n’écrit pas du cœur mais des glandes. Jusqu’à ce<br /> qu’il réapprenne ces choses, il écrira comme s’il assistait, au beau milieu, à la fin de l’homme.<br /> <br /> Je refuse d’accepter la fin de l’homme. Il est possible d’affirmer que l’homme est immortel simplement parce qu’il endurera cela: car lorsque à la fin, de la plus ordinaire des pierres, se<br /> répercuteront les ultimes tintements, suspendus dans les dernières lueurs rougeâtres du crépuscule, il perdurera aussi une vibration - celle de sa voix indéfectible et chétive, parlant encore. Je<br /> refuse de l’accepter. L'homme, je crois, ne fera pas que le supporter, il l’emportera. Il est immortel, non parce qu’il est le seul, parmi toutes les créatures, à avoir une voix indéfectible, mais<br /> parce qu’il a une âme, un esprit capable de compassion, de sacrifice et d’endurance. Le devoir du poète, de l’écrivain, est d’écrire toutes ces choses. Son privilège est d’aider l’homme à endurer,<br /> en développant son cœur, en le nourrissant de courage, d’honneur, d’espoir, de fierté, de compassion, de pitié et de sacrifice, qui furent la gloire de son passé.<br /> <br /> La voix du poète ne doit pas seulement être un témoignage, elle doit être pour l’homme l'un de ses étais, les piliers qui l’aideront à endurer et à vaincre. »<br /> <br /> Discours du banquet, 1949, W.Faulkner