Je ne file pas droit!

Tiens, ce petit rien , hier,  à Caupenne. Je marchais sur la route étroite depuis deux heures. Je l'ai reconnu devant la forge transformée en atelier de réparation d'outillage agricole.

Nous étions à la petite école ensemble. Il n'arrivait pas à lire. Il lui manquait le décodage. Des signes, il y en avait à profusion sur la page,  mais pour lui le mystère restait entier alors que nous en faisions des histoires. Parfois , il disait une expression entière . Evidemment. Le livre de lecture , on le gardait pendant trois ans , alors avec un peu de mémoire. Mais ça ne trompait pas l'instituteur qui  s'acharnait  quotidiennement sur lui en maltraitance verbale et physique...méthode qui  n'arrangeait rien.

Je me demande s'il sait lire maintenant.

Ce que je sais, c'est que son père, du travail obligatoire, avait ramené une belle et blonde Polonaise qui ne parlait pas français.  Elle a dû supporter, en sus, la belle- mère, le patois et le village. Déjà que les femmes à cette époque...ça en plus , ça fait trop...de quoi être pointé du doigt et renvoyé à son for intérieur. Le père s'est tué sur sa moto, juste après, au virage de "La lanne".

Jacques a gardé des yeux bleu limpide et il a perdu beaucoup de sa timidité. ( C'est le premier de mes Jacques, l'autre vend des tabliers de grand-mère sur les marchés de Chalosse)

Il me dit: " Où vas-tu donc  à pied , Jeannette?"

-A St Aubin!

 Ma réponse l'a beaucoup perturbé et après une réflexion longue et palpable:

- " Dis donc, tu ne files pas droit!

Oui, Jacques , après toutes ces années d'école , tu as bien discerné, je ne file pas droit.