Là-bas ce 1er novembre
J'ai marché dans le parc . Il était vide. Au loin, une silhouette courbée sur sa canne, passait en clopinant la porte du retour dans la grande batisse. Les feuilles des magnolias gisaient brunes , rigides et cassantes. J'ai revu la grande dalle de pierre qui servait de banc. Un banc malcommode car beaucoup trop bas. Je devais la retenir par les deux bras, face à elle , en même temps que je l'accompagnais dans une lente descente sur ses genoux rouillés.Lui communiquer par ma volonté , la certitude que je maitrisais . De toutes façons j'étais ses yeux, ses mots, sa seule certitude. La seule lumière qui scintillait encore. Le massif de graminées pelucheuses toujours là. Une tige coupée sans remords , juste pour le jeu d'une caresse chatouilleuse sous le cou . Juste pour la voir encore rire à cette vie devenue si brouillée , si déboussolée
Des pyramides de jeux d'enfants en grosses cordes tressées rouge , vides . Elles n'y étaient pas .
Cependant , parfois, des enfants traversaient le parc en courant et c'était obligatoirement une réjouissance pour un regard qui se vide. Dans la grande maison , personne ne courait plus. On clopinait si on le pouvait.
De toutes façons elle ne reviendrait pas.
Alors j'ai choisi dans les grandes serres, cinq magnifiques chrysanthèmes à petits fleurs dorées. J'ai repensé à son indécision quand il nous fallait choisir ensemble. Dans ces vastes serres fleuries , il y en avait toujours trop pour ses yeux habitués au peu...l'indécision se prolongeait jusqu'à mon exaspération. Non, choisir vite! Ne pas lui ressembler. Je ne manque de rien . Je peux me tromper . Gaspiller.
Le cimetière n'est pas joli... mais juste encore doux avant l'hiver...si frileuse..mais pourquoi tant de pensées quand tout se termine par la grande danse des os entre amis.
Je suis debout au bord de la plage.
Un voilier passe dans la brise du matin et part vers l'océan.
Il est la beauté, il est la vie.
Je le regarde jusqu'à ce qu'il disparaisse à l'horizon.
Quelqu'un à mon côté dit : "Il est parti ! "
Parti ? Vers où ?
Parti de mon regard, c'est tout !
Son mât est toujours aussi haut,
sa coque a toujours la force de porter sa charge humaine.
Sa disparition totale de ma vue est en moi, pas en lui.
Et juste au moment où quelqu'un près de moi dit : "Il est parti ! "
Il y en d'autres qui, le voyant poindre à l'horizon et venir vers eux, s'exclament avec joie : "Le voilà ! "
C'est ça la mort."